«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

mardi 28 novembre 2017

Haydn et un homme de génie

Franz Joseph Haydn
Symphonies n : 80, 81 et 19
Joseph Martin Kraus
Symphonie en do mineur VB142
Alpha676: enregistrements juillet et octobre 2016.

Un projet de longue haleine. Pour souligner le 300 ème anniversaire de la naissance de Haydn la fondation Joseph Haydn Stiftung de Bâle c’est associé au label Alpha pour enregistrer l’intégrale de ses 107 symphonies. Cette tache monumentale a été placée sous la direction musicale de Giovanni Antonini  qui utilisera deux orchestres pour la réaliser : Il Giardino Armonico et l’Orchestre de Chambre de Bâle. C’est avec cette dernière formation que ce formidable enregistrement a été réalisé. Une intégrale qui sera une des plus belles à voir le jour dans les prochaines décennies. L’inclusion de la symphonie en ut de Kraus est un clin d’œil à une rencontre que Haydn et Kraus ont eut en 1783. Haydn fut un grand admirateur de l’art musical et littéraire de Kraus, et fut profondément choqué quand il apprit la nouvelle de sa disparition. Il avait une grande estime pour la symphonie en do mineur présente dans cet enregistrement. Kraus a aussi participé à la création du mouvement Sturm und Drang, et la symphonie en do mineur est un paradigme d’œuvre musicale avec des accents qui nous font déjà  penser  au XIX siècle.
Une suggestion à ne pas rater pour cet hiver,


Philippe Adelfang, novembre 2017.

dimanche 19 novembre 2017

Les derniers quatuors de Beethoven par le Quatuor Mosaïques, la liberté à l'état pur!

Les derniers quatuors de Beethoven
Quatuor Mosaïques
Naïve: V5445, enregistrements 2014,2015 et 2016 au Wiener Konzerthaus.

Ce qui fait de Beethoven un génie de la musique parmi ses contemporains, c'est la façon personnelle qu'il avait développé pour utiliser la matière. Une mélodie, une progression tonale ou un accord, ce ne sont pas seulement des éléments constitutifs du langage musical, mais plutôt des moyens pour structurer une oeuvre. Cette nouvelle façon de penser la musique, ne lui est pas arrivée par hasard, mais c'est plutôt la conséquence de toute une vie de méditation, recherche et experimentation.
Dans ce contexte d'idée, le quatuor à cordes n'échappe pas à cette règle. Forme instaurée par Haydn une génération avant, elle a reçu ses lettres de noblesse avec les quatuors de Mozart. Beethoven évidemment devait partir du point laissé par son prédécesseur, et cela lui a pris quelques années pour développer un langage personnel. Quand il arrive à la fin de sa carrière, il s'attaque à cette forme à nouveau, mais en la transformant d'un bout à l'autre. On dirait qu'il arrive à exprimer les idées sans absolument aucun pré concept stylistique que ce soit. La liberté à l'état pur.
Quel défit de les interpréter pour n'importe quelle formation de chambre. Les derniers quatuors de Beethoven, sont une cime comparée à l'Everest. Pour y arriver il faut donner tout. Point à la ligne.
C'est ce que l’on ressent à l'écoute de cette merveilleuse version des Mosaïques. Peut être une nouvelle référence dans la riche discographie présente et passée. Un vrai plaisir pour les sens. Un bonheur absolu.

Philippe Adelfang, novembre 2017.

vendredi 17 novembre 2017

Zemlinsky, l'art du poème symphonique.


Alexander von Zemlinsky (1871-1942)

Die Seejungfrau
Es war einmal
ORF Radio-Symphonieorchester Wien, Cornelieus Meister direction

CPO: 777962-2 enregistrements mai 2010 et août 2012.

Pour les mélomanes qui ne connaissent pas l’œuvre de Zemlinsky, voici une belle occasion de rentrer dans son univers postromantique. Il fut un des plus grands compositeurs autrichiens de l’avant-garde post wagnérienne. Très respecté par ses collègues, de la jeune génération viennoise, comme Mahler, Berg et Schoenberg, Zemlinsky fut un des grands acteurs de la vie musicale dans la Vienne impériale de la fin du XIX et début du XX siècle. Tout ce monde basculera avec l’arrivé des nazis en Europe centrale. Comme bien d’autres artistes Zemlinsky a dû s’exiler aux États Unis, où il n’a jamais pu retrouver le prestige qu’il avait dans sa patrie. Son style symphonique est luxueux, brillant et hyper romantique. Il fut un des modèles de Schoenberg, avec Richard Strauss quand il s’agit de la construction des poèmes symphoniques et qui fit de cette école austro-germanique, une des principales et plus influentes dans l’Europe du début du XX siècle. « Je suis en train de travailler sur un poème symphonique d’après le conte  La Petite Sirène d’Andersen, ce qui me réjouit énormément ces temps-ci » écrivit le compositeur en 1902 dans une lettre à Schoenberg. Le résultat fut une partition merveilleusement bien écrite, dans la meilleure tradition des grands poèmes symphoniques de Strauss. Malheureusement Die Seejungfrau n’est pas souvent très joué en concert, ce qui fait que des projets comme celui de CPO, prennent quelques années à sortir sur le marché. Ce magnifique enregistrement "live" de l’Orchestre de la Radio Viennoise (ORF) a pu se faire en 2010, mais il a fallu attendre deux années encore pour compléter ce projet discographique avec Es war einmal qui fut seulement programmé qu'en 2012. Un autre tres bel exemple de comment certains enregistrements ont aussi une fonction  de sauvegarde du patrimoine sonore d’une nation.

Philippe Adelfang, novembre 2017

dimanche 12 novembre 2017

Prokofiev, symphonies n°2 et 3. Jurowski la clef des chants!

Prokofiev, symphonies n°2 et 3
Orchestre Symphonique Académique de l'État de Russie, Vladimir Jurowski direction.
Pentatone: PTC5186624
Enregistrements: septembre et octobre 2016

Certains compositeurs ont eu une approche, disons, plus problématique avec le langage symphonique. On a toujours une tendance à comparer les symphonies de Prokofiev avec celles de son collègue (cadet) Chostakovitch. Mais il faut se rappeler d’un élément clef. Prokofiev a toujours aimé  faire des œuvres dans un contexte dramatique ou la structure de l’œuvre suit une idée préétablie. Après son retour des États Unis, Prokofiev passa dix années de sa vie à Paris. Il produisit des œuvres d’une force et originalité magnifique. Profitant d’un environnement libre et sans aucune restriction esthétique, il pourra développer un langage moderne et unique dans sa production globale. La structure symphonique était disons plus abordable dans sa vision classique de la musique.  Sa deuxième symphonie écrite en 1924-25 est plus proche d’un univers futuriste que du classicisme de sa première symphonie. Tandis que pour sa troisième, écrite en 1928, le compositeur tira une partie des idées thématiques de son opéra The Fiery Angel, ce qui prouve le besoin d’avoir à main une source dramatique externe comme moteur d’inspiration. C’est une des différences, a mon avis, plus importante entre les productions symphoniques des deux compositeurs les plus importants de l’Union Soviétique dans le XX siècle.
Les versions de ce remarquable enregistrement de Pentatone très bien joués par l’Orchestre Symphonique de l’État de Russie, maintenant appelé Evgeny Svetlanov, sont une excellente référence si l’on veut avoir des enregistrements modernes superbement interprétés. Jurowski  rentre dans le sommet de son art. On a hâte de suivre cette intégrale.

Philippe Adelfang, novembre 2017